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Homme pressé (suivons l')
On l'a retrouvé au bar, il était en train de hurler dans l'oreille du barman, peut-être qu'il voulait écouler le stock d'Acide, les vieux fonds de tonneaux. Alex se rapproche et s'assoit à côté, je l'imite. Il y a des hauts tabourets ronds, façon un peu américaine, tout est gris métallisé comme dans une pub des années 90. Alex est plus près du mec que moi, il doit entendre ce qui se dit. En ce qui me concerne, mes oreilles ne laissent plus passer que des sifflements. Puis je me rends compte que le type assis à ma droite m'observe. Alors je l'observe aussi. Il a une tête de play-boy mal rasé, avec d'horribles lunettes à verres jaunes. Porte une chemise à jabot ouverte et sale et un Jean noir. Ça doit faire un moment qu'il a pas vu la lumière du jour, lui. Il tient une fille sur ses genoux, une ado, encore une (il y a plus que ça) dont les beaux cheveux sombres ornés de perles métalliques renvoient des jolis reflets à la lumière, elle a l'air complètement faite et, abandonnée contre lui, lui caresse la poitrine d'un air distrait. De temps en temps, il lui dépose un baiser sur le front, mais on dirait presque que c'est un automatisme...
- On se connaît ?, je gueule.
- Vaguement, ouais ! Il répond. Je vous ai vu à une réception chez CBM, juste avant l'incendie du 20ème étage, vous vous souvenez ? C'était en Février...
Je hoche la tête. Il continue :
- Je m'appelle Joey Ferssen, je travaille pour MultiStim. Je suis acteur, chez eux...
Ce type a vraiment une tête de défoncé, mais son visage me dit quelque chose. Avant d'être une épave, il a dû être quelqu'un de reconnaissable, quelqu'un de vaguement familier, il me dit vraiment quelque chose, j'ai dû le voir dans un film en costumes façon XVIIIème, c'est ça, il avait l'air moins ravagé. Pauvre Joey...
Et pendant ce temps-là, Alex discutait avec Vouivre ; je pense que c'est comme ça qu'il m'aurait raconté le truc :
" Ce gars me prenait la tête ; il parlait avec le barman, ouais, et il lui disait qu'il allait lui refiler les stocks, mais je voulais savoir si c'était les stocks frelatés ou pas. Toi, t'étais occupé à tchatcher avec l'autre débris et tu t'en foutais comme de l'an quarante de cette mission, alors fallait bien que quelqu'un fasse quelque chose. Alors j'ai agi. J'ai posé la main sur son épaule et je lui ai demandé :
- Tu serais pas cousin de Fredericks Vouivre, toi ?
Il s'est tourné et m'a souri, très sharky dans son genre.
- C'était mon cousin, ouais. Mais il est un peu mort, buté par un petit connard dans un bled paumé.
- Ah ouais, je fais, très flegmatique et intéressé. Quelle coïncidence ! On ne s'attend pas à rencontrer des amis d'amis dans des endroits aussi pleins d'ennemis...
Il a souri, encore plus sharky. On aurait dit pub pour dentifrice pepsodent, une sorte de mannequin glacé, à peine humain. Le barman m'a maté de son regard jaune porcelaine (il a un œil de verre). Et l'autre a demandé :
- Pourquoi tu nous écoutes ? Je suis un homme pressé, je fais des affaires et j'aime pas être espionné quand je parle, même quand il y a du bruit comme ça...
- Je m'intéresse juste à ce que tu fais, je dis. Je voudrais savoir si tu peux me vendre de l' Acide moins cher que les autres d'ici...
- Viens, alors, on peut faire affaire. On va discuter dans les salons d'en haut.
Alex s'est levé, suivant le mec, et m'a fait un signe. Je l'ai suivi et Joey a gueulé :
- Tu vas où ?
- Acheter de l' Acide...
- Je viens aussi...
Il largue la pauvre fille derrière lui, et on est tous partis pour les salons d'en haut.
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